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Mazeppa, ou le Cheval Tartare, hippodrame tiré du poème Mazeppa de Lord Byron (1819) et représenté au Théâtre du Cirque Olympique durant l'hiver 1824, et à l'Astley's Amphitheatre à partir de 1831, est l'un des exemples les plus éloquents des circulations culturelles qui traversent les milieux artistiques au XIXe siècle. 

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L'Histoire a retenu l'influence du poème de Byron en peinture chez Gericault, Delacroix, Vernet, Boulanger, en musique chez Listz ou Tchaïkovsky mais au cirque, grâce au cheval, et au succès de l'hippodrame éponyme, l'oeuvre prend une emphase et gagne une intensité qui portent aussi son succès durant des décennies, auprès d'un immense public à travers toutes les grandes capitales occidentales. Ce succès repose sur la performance équestre déployée sur la piste qui donne vie et puissance à l'épopée de Mazeppa. 

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Le terme "hippodrame" est un néologisme qui désignait au XIXe siècle les pièces à grands spectacles avec intervention de cavaleries et fantassins pour la représentation de scènes de guerre liées à l'actualité ou à l'Histoire. Le terme a progressivement été utilisé pour qualifier rétroactivement toutes les pièces, mimodrames, mélodrames, drames, pantomimes à grand spectacle, fondés sur la présence d'un ou plusieurs chevaux au coeur de l'intrigue et de la mise en scène et mise en piste, autrement dit pour les pièces dont la raison d'être et le succès est fondé sur la performance équestre, avec le cheval pour héros à part entière ou héros mêlé à celui ou celle qui le monte.

 

Au XIXe siècle, le succès des hippodrames présentés à l'Astley's Amphitheatre, à Londres, et au Théâtre du Cirque Olympique, à Paris, ont influencé le répertoire des major theatres et des théâtres privilégiés qui ont progressivement introduit des chevaux dans certaines de leurs grandes productions afin d'offrir le réalisme et la puissance d'expression, voire le sensationnalisme, qu'offraient les hippodrames des théâtres équestres.

 

Mazeppa incarne de façon caractéristique la spectacularisation équestre de registres littéraires, la réappropriation de codes contemporains iconiques comme le montrent les affiches anglaises du spectacle, mais aussi les transformations successives de la performance à cheval et les distorsions parodiques pour renouveler la performance équestre elle-même, en "l'habillant" d'un contexte ou de dérivés pour conserver l'attractivité du spectacle et l'attraction des publics. Ainsi une version burlesque, ou une version "dans la savane" viennent proposer des interprétations très éloignées du poème originel, avec pour point commun la cavalcade mythique, sans que l'histoire n'ait plus rien à voir avec le héros cosaque. Mazeppa est ainsi, au cours du XIXe siècle, un hippodrame qui relie particulièrement les genres et les expressions artistiques, les continents, les circulations culturelles de l'un et l'autre côté de la Manche. La pièce offre un angle inédit pour observer l'histoire des représentations culturelles au cours du siècle, tant Mazeppa et ses dérivés sont restés longtemps en "une": plus de 70 ans, à l'affiche est une rare longévité pour une pièce et ses interprétations.

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Mazeppa par Milner au Royal Coburg,  1823

Mazeppa par Cuvelier au Théâtre du Cirque Olympique,  1824-1825

Mazeppa par Milner à l'Astley's Amphitheatre, 1831

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[article en cours de rédaction... à suivre]

Mazeppa Astley's Amphitheatre 1831

111th NIGHT OF MAZEPPA

Lord Byron's Tale, MAZEPPA AND THE WILD HORSE, produced by Andrew Ducrow, Aug. 8th 1831

Mazeppa Loups Horace Vernet

Horace Vernet, 1826

Mazeppa, dénudé et attaché à son cheval débridé, offre aux peintres des années 1830  l'opportunité de travailler la violence, la terreur, la peur, les clair-obscur, typiques de la peinture romantique tout en revisitant le nu académique et la fusion des corps entre l'homme et son coursier, au moment même où le portrait équestre, le "cheval nu" tel que lancé par les oeuvres du peintre anglais George Stubbs (1724-1806) est au coeur d'une production artistique prolifique en ce début du XIXe siècle dans les cercles de peintres français.

 

Les affiches du spectacle, en Angleterre, reproduisent les peintures et lithographies qui ont marqué l'époque, contribuant à figer et diffuser les représentations du mythe romantique de façon iconique sur les placards qui ornent les murs des villes  et les colonnes de journaux. Le sujet central du poème, la cavalcade de Mazeppa attaché quasi-nu sur sa monture, interroge la représentation du corps, le corps montré, le corps suggéré, le corps dénudé, angle qui prend une connotation particulière avec la pérennité de la pièce et le renouveau de son succès auprès du public lorsqu'à compter des années 1860, le rôle du cosaque est interprété par des écuyères (cross gender acting).

Mazeppa  wild horseAstley's Hippodrame Henry Milner John Cartlitch Géricault
Théodore Géricault Mazeppa Lord Byron Cheval Fleuve Cavalier Romantisme

Théodore Géricault, 1823

Les peintres romantiques

aux sources des représentations

des affiches de cirque

Lord Byron Mazeppa Astley's Amphitheatre Hippodrame Circus

"Géricault est le premier peintre qui après avoir observé les diverses races du cheval, ait fini par en trouver la  véritable expression dans ce qu’elle a de plus générique. Carle Vernet a choisi les chevaux fins, Horace, les chevaux de troupe ; Gros a fait le cheval arabe pur sang; Vandermeulen avait représenté le cheval danois à large croupe ; Van Dyck le cheval espagnol à tête moutonnée : Géricault est peut-être le seul qui ait peint le Cheval." Blanc (C.), Histoire des peintres français au XIXe s.,Cauville Frères, Paris, 1845, t.1, 407.

Adah Isaacs Menken Ecuyère Mazeppa Astley's
Mazeppa Adah Isaacs Menken Cirque

Le "corps nu" de l'écuyer et la fusion avec son coursier prennent une nouvelle connotation sur la piste des cirques avec l'interprétation du rôle de Mazeppa, à New York, San Francisco puis Londres, Vienne et Paris par l'actrice Adah Isaacs Menken (1835-1868), première femme à personnifier le héros telle qu'on la voit pour la première fois à l'Astley's Amphitheatre en 1864. Ce rôle qui lui est dévolu, introduit une rupture sensationnelle qui redouble le climax de la chevauchée. Exactement à cette époque  les maillots collants des trapézistes et gymnastes sont devenus la norme depuis Jules Léotard (1838-1870) qui en a institué l'usage en 1860. Seulement dans le rôle de Mazeppa, les collants chair et le voile léger ou la culotte courte et les bras dénudés de l'actrice, couvrent-ils sont corps ou donnent-ils à voir le corps féminin qui paradoxalement est symboliquement effacé puisque sensé incarner un héros masculin ? Quelle qu'en soit la perception, la suggestion et la parodie des corps et de la nudité ouvrent de nouvelles voies d'interprétation et revisitent la représentation du duo équestre et ses représentations.

Adah Isaacs Menken ou

le héros romantique au féminin

Adah Isaacs Menken.jpg
Lisa Weber Astley's actress vocalist Mazeppa Lord Byron
Mazeppa Jeanie Burgoyne Londres Theatre Olympic  white horse Lordd Byron
Adah Isaacs Menken as Mazeppa at Astley's Amphitheatre. La gravure reprend la posture du tableau de Horace Vernet Mazeppa loups Astley's Amphitheatre

Exposée au centre de la piste, dans une position que les affiches montrent plus lassive qu'en exercice équestre, Menken interprète pourtant bel et bien le héros en tant qu'homme (cross-gender acting). Simuler la nudité de l'actrice par une tenue minimale, qui se fond à son teint, ne trompe personne et nourrit le frisson qui accroît l'attractivité du spectacle auquel le public se presse. L'hippodrame, célèbre depuis 30 ans déjà, repart pour une salve de succès qui pérennise sa longévité sur la piste de l'Astley's Amphitheatre, mais aussi sur toutes les pistes de cirque à travers le monde. Le succès de Menken a pour effet que non seulement ce sont dorénavant régulièrement des écuyères qui lui succèdent  pour interpréter le rôle de l'écuyer cosaque, mais le succès de l'hippodrame fait de Mazeppa l'un des grands classiques du répertoire équestre, inlassablement repris, et en tête d'affiche, jusque dans années 1890.

Les écuyères

de Mazeppa

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Plus inattendu, le clou du spectacle, la performance équestre du coursier lâché au galop avec sur son dos l'écuyère incarnant le cosaque abandonné à son sort (ou l'écuyer quand même encore parfois), devient elle-même un sujet d'inspiration autour duquel se tisse de nouvelles histoires. Le "drame à grand spectacle", de Anicet Bourgeois et Ferdinand Dugué, Pirates de la Savane (1859) que l'on voit joué jusqu'au début du XXe siècle, raconte l'histoire de Léo, un aventurier chassé et attaché à sa monture perdu dans une course équestre effrénée en pleine nature, rôle également interprété par Adah Isaac Menken avant d'être repris par d'autres célèbres écuyères (voir encadré, infra).

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Subsidiarité de l'écuyère et de l'écuyer

Les affiches de l'hippodrame de Milner à l'Astley's Amphitheatre dans les années 1830 reprennent les traits des grands peintres et accentuent la tension épique de la cavalcade à travers la force brute des éléments naturels déchaînés et l'obscurité qui manque engloutir l'écuyer et son coursier. Les affiches évoluent avec les progrès de l'imprimerie dans les années 1860, accordant une place centrale à l'iconographie, aux couleurs lumineuses et aux éléments visuels accrocheurs. Pour les "Mazeppa-femmes" de la deuxième moitié du XIXe siècle, on ne peut pas manquer remarquer que la représentation des chevaux, la stylisation des crinières comme les airs presque féminisés des montures offrent des traits atténuant la dramaturgie pour suggérer une tension en grâce et légèreté, avec une écuyère comme posée sur le dos du cheval.

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La parodie et l'interprétation étoffent le répertoire des déclinaisons sur un même thème dans une dynamique sensationnelle qui revisite le corps en exercice et ce qui est donné à voir. Au même moment les amazones et leurs exercices de dresssage comme leur virtuosité équestre rencontrent un succès sur toutes les pistes de cirques. Avec le rôle de Mazeppa, ce n'est donc pas seulement sur le corps dénudé de la femme qu'il faut dresser des conclusions sensationnalistes, car c'est aussi cet hippodrame, et ses déclinaisons, qui révèlent la capacité de l'écuyère à interpréter les mêmes rôles équestres que les hommes, avec la même force et la même excellence.

 

Derrière la nudité sensationnelle il y a aussi, avec Mazeppa, une équité à cheval, comme un miroir inversé, où la subsidiarité des corps masculin et féminin vient réhausser la virtuosité et les capacités équestres équivalentes.  

 

Les corps se prêtent tout autant à l'exercice, excellent tout autant dans l'exercice. C'est ainsi une sorte de dualité qui se tisse entre la capacité à "faire", à "exercer", et le message véhiculé par les affiches dédié au "faire venir" pour attirer le public. En effet, en faisant semblant de s'effacer pour incarner le personnage masculin en exercice sur la piste, parallèllement les affiches accentuent le "faire savoir" de l'héroïsation féminine, travaillant la publicité autour de l'incarnation féminine du rôle de Mazeppa, et donnant à voir la féminisation du rôle, laissant libre cours aux imaginaires du public dans un registre où prouesse équestre et séduction s'entremêlent.

 

Les tableaux des peintres romantiques qui ont représenté l'épopée de Mazeppa offrent à la fois un point de départ et le coursier qui guide la voie devient le fil rouge pour saisir le parcours de l'oeuvre de Byron et ses déclinaisons. Au gré des modes et des besoins de renouveler le répertoire des spectacles, l'iconographie éclaire d'autant l'histoire des représentations à l'aune de l'évolution des hippodrames dédiés au poème originel, ou dérivés de la performance équestre.

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[Voir Du Théâtre équestre au cirque, Le cheval au coeur des savoirs et des loisirs, Belin, 2018, pp. 328-332]

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Oceana Renz Anicet Bourgeois Pirates

En 1859, Anicet Bourgeois et Ferdinand Dugué crée Pirates de la Savane, un hippodrame qui retrace les mésaventures de Léo qui attaché à son cheval doit échapper à ceux qui le pourchassent. Interprété d'abord par Adah Isaacs Menken, le rôle est repris ensuite par de célèbres écuyères à travers toute sl'Europe etlles, Oceana Renz ou encore Anna Kenn. La "principe" de la chevauchée épique interpréte par une femme qui joue le rôle d'un personnage masculin est devenu un standard à part entière. Ce n'est plus la performance qui anime l'histoire, mais l'histoire qui est créée à partir d'une performance. Du poème légendaire, l'icône n'est plus le héros mais la chevauchée.

Quand la performance devient le mythe:

les déclinaisons de Mazeppa

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