Succès économique du Cirque Olympique:
étude des recettes annuelles
Peu d'éléments permettent d'étudier l'économie des théâtres et des spectacles parisiens au début du XIXe siècle car les livres de comptes ont disparu. Une source essentielle permet de pallier ces manques : le droit des pauvres, dit aussi droit des indigents*, impôt prélevé sur tous les divertissements au profit du financement de l'hôpital. Ce sont ainsi les archives de l'APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris) qui offrent les fonds permettant de retracer, de façon continue, l'évolution des recettes des théâtres.
Le Bureau des Théâtres de l'APHP élabore à compter de 1810 un Relevé des recettes et de l'impôt réglé par les différents théâtres, spectacles, concerts et bals de Paris. Pour certaines années, un Relevé mensuel des recettes complète le compte rendu annuel, et parfois, mais rarement, une Feuille de contrôle récapitule le nombre de représentations annuelles de chaque théâtre. Ce dernier document est particulièrement précieux car il permet de corréler les recettes annuelles avec le nombre de représentations, et de calculer la moyenne des recettes journalières par salle. Un tel calcul est fondamental dans le cas du Cirque Olympique car la durée des tournées estivales s'étend de quatre à six mois par an (voir tableau ci-dessous) alors que les autres théâtres secondaires sont ouverts, en dehors des jours de relâche, pour une période beaucoup plus longue à l'année. En conséquence, si on ne tient compte que des résultats annuels (sur 12 mois à Paris), forcément, les recettes du Cirque sont moins importantes que celles de théâtres qui sont ouverts 2, 3 ou 4 mois de plus. En revanche, au prorata de chaque mois, là, les sommes ont une toute autre signification: on y lit clairement le succès du Cirque Olympique, qui carracole souvent en tête de la plus grande fréquentation théâtrale à Paris. A compter de 1835, avec l'ouverture du Cirque des Champs Elysées, créé justement sur la base d'un argument de rentabilité à l'année pour la direction, les recettes annuelles font un bond conséquent (doc.2).
Les recettes annuelles : indice de succès
Comparer les recettes du Cirque Olympique avec l'ensemble des scènes parisiennes ne permet pas de connaître la réalité des comptes de l'établissement (coût, dépenses, bénéfices). En revanche, cela permet de mesurer la stature économique du théâtre des Franconi au sein du marché des théâtres.
Juger la réussite d'un théâtre au regard de ses recettes est une dimension un biais qui connaît un tout nouvel intérêt à partir du début du XIXe siècle. La presse fait part dorénavant des recettes annuelles des théâtres présentant dans ses pages un véritable classement, une sorte de pop chart en fonction du chiffre annuel. Publiés en janvier, en pleine saison théâtrale, les résultats de l'année précédente deviennent un critère de hiérarchisation des établissements suivant l'ordre des meilleures au moins bonnes recettes (doc.3).
Plus surprenant, ces informations sont relayées dans la presse anglaise également. The Times liste ainsi les résultats des scènes parisiennes tel un indicateur : le succès ne se lit pas seulement par le biais de la critique théâtrale ou du nombre de représentations d'une pièce mais aussi, bel et bien, par les recettes.
La comparaison des recettes reste cependant une donnée très relative: les salles n'ont pas le même nombre de places et ne pratiquent pas les mêmes prix et, sans indiquer les nombre de représentations à l'année, les chiffres restent détachés de la réalité et donc un indice très abstrait. Reste que comme c'est le seul à disposition, qui plus est de façon constante (résultats connus pour chaque année) c'est une donnée essentielle pour suivre la courbe des évolutions tant d'un théâtre, que de celui-ci par rapport à l'ensemble des scènes parisiennes.
Les recettes du Cirque Olympique
Entre 1810 et 1826, les recettes du Cirque Olympique oscillent mais avec un écart type mesuré au point que les recettes de 1810 et 1824 sont quasiment identiques. La salle du Cirque construite en 1807 peut accueillir 1200 spectateurs sur les gradins et de 800 à 1500 sur la piste selon s'ils sont assis ou debout. 2000 places c'est également ce que proposent leurs installations en 1816 dans les murs d'Astley, puis le nouveau bâtiment construit en 1826. Les travaux d'embellissement en 1821 ne semblent pas avoir d'impact sur la fréquentation puisque les recettes sont relativement homogènes.
En revanche, l'ouverture du 3e Cirque Olympique en 1826 inaugure quelques années particulièrement fructueuses, jusqu'à la faillite de 1830. Les recettes doublent et propulsent le Cirque Olympique au deuxième rang des théâtres juste après l'Opéra en 1829 (cf classement The Times). Or, on voit bien que des recettes florissantes ne témoignent pas de l'équilibre financier d'un établissement puisque l'année suivante l'établissement fait faillite. Le nouvel établissement a cependant la même capacité d'accueil, ce n'est donc pas le nombre de places qui préfigurent les recettes, mais le prix des places et le nombre de représentations.
Ce qui enraye la chute apparemment inexorable des recettes après 1831, c'est l'ouverture du Cirque du Champs Elysées en 1835. Proposant dorénavant un spectacle toute l'année à Paris, la direction des deux cirques voit la recette de ses spectacles parisiens augmenter sur l'ensemble de l'année. En quatre ans, de 1837 à 1839, la direction de Louis Dejean voit ses chiffres doubler. L'année 1841, avec l'ouverture du nouveau bâtiment des Champs Elysées permet d'atteindre un sommet de plus d'un million de recettes et par la suite, malgré le départ de Dejean en 1844 qui cède la direction à Gallois, les chiffres restent élevés et stables.
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Comprendre le Droit des indigents - Droit des pauvres
L’impôt sur les spectacles est institué sous l’Ancien Régime (25 février 1699) et consiste en l’obligation pour les théâtres de reverser un certain montant du prix des billets aux institutions charitables. La genèse de cette taxe prend ses racines dans la condamnation des gens de théâtre et dans les origines religieuses de l’hôpital opposant ceux qui souffrent à ceux qui ont accès au superflu et aux plaisirs. Anciennement perçu au profit de l’Hôtel-Dieu et de l’Hôpital Général, aboli en 1789, il est rétabli par la loi du 7 frimaire an V, qui autorise la perception, au profit des indigents, d’une somme de 10% en plus du prix des billets d’entrée dans tous les spectacles. Temporaire en ses débuts, plusieurs lois prorogent l’application du droit des pauvres avant qu’il ne soit définitivement établi par décret impérial le 9 décembre 1809.
Jusqu'à cette date, les théâtres privilégiés bénéficient d’une exonération forfaitaire du droit des pauvres, dit aussi droit des indigents, qu’ils ne règlent plus que par abonnement depuis les années 1760. En 1809, les théâtres privilégiés sont taxés aux mêmes tarifs que les théâtres secondaires. Toutefois, à partir du 13 août 1811, les théâtres secondaires et les spectacles de curiosités sont à nouveau imposés distinctement. Les premiers sont redevables du vingtième de leurs recettes et les seconds du cinquième, afin d’alléger les déficits chroniques de l’Opéra, ce qui accroît nettement le poids de leurs contributions.
Pour l'Etat, le droit des pauvres est plus qu’une simple taxe sur les spectacles puisque l’enjeu principal qui le sous-tend est le financement de la santé et de l’hôpital avant tout conçu pour les indigents. Pour les théâtres et spectacles la loi de 1811 réactive l'intérêt pour les spectacles d'être reconnus en tant que théâtre afin que la taxe dont ils sont redevables soit moindre. C'est justement l'axe de l'argumentation que les frères Franconi utilisent pour que le Cirque Olympique obtienne le statut de théâtre secondaire et quitte la catégorie des spectacles de curiosité. Cependant, en obtenant le statut juridique de "théâtre", un lieu de spectacles obtient des droits tout à fait nouveaux (et pas seulement une réduction des taxes). Ce qui est initialement une question d'argent pour l'Etat et les Hôpitaux de Paris devient une question de contrôle culturel et de censure pour la police et les responsables des lois sur le théâtre à Paris mais aussi dans tout le pays (payer telle ou telle taxe signifie qu'un spectacle a le droit à une certaine éligibilité sur les affiches ou le nombre de jours de séjour en ville lors d'une tournée en province...).
Le droit des indigents concerne avant tout les théâtres et spectacles parisiens. Au début du XIXe siècle, l'impôt est du quart pour les spectacles ponctuels (feux d’artifices, bals, courses et exercices de chevaux non quotidiens, etc.) et du dixième pour les spectacles quotidiens ou semi-quotidiens. Le produit de la taxe est variable et inégal d’une année sur l’autre, en fonction du nombre d’établissements taxables et de leurs recettes. Il peut constituer de 5 à 10% du budget global de l’Assistance publique.
En 1875 et 1920, la perception est étendue à toutes les manifestations d’ordre artistique et culturel pour ne disparaître qu’en 1946 favorisé par l’entrée croissante, à l’hôpital, d’une clientèle payante depuis les années 1930 et par le refonte de l’Assistance publique entre 1941 et 1946.
Au sujet du droit des pauvres voir notamment : Renaud (J.), Le spectacle à l’impôt. Inventaire des archives du Droit des pauvres à Paris. Début XIXe siècle-1947, Paris, APHP/Doin, 1997.